Le violon de hardanger ou hardingfele
Le violon de Hardanger ou hardingfele est un instrument traditionnel qui provient de l’ouest de la Norvège. Il date du milieu du XVIIème siècle et semble naître du mariage du violon baroque et des instruments traditionnels. Il est devenu depuis, l’instrument national norvégien qui célèbre la vie simple, paisible et joyeuse dans ce pays nordique. D’anatomie plus « baroque » au départ, il prend les formes et la taille du violon classique à travers le temps, revêt de riches décorations. Mais son principal atout face à son homologue classique est sa sonorité grâce à ses cordes sympathiques. Découvrez ces différences physiques, ses origines, son histoire, quelques œuvres de référence. Et en prime, nous tâcherons de vous expliquer comment l’accorder et en jouer.
Sommaire
Différences entre violon classique et « hardingfele »
- Cordes sympathiques
- Touche incrustée d’os et de corne ou de nacre
- Décoré de motifs traditionnels
- Volute ornementée: tête de dragon ou décorations
- Archet concave, baroque ou convexe, classique.
- 8 ou 9 chevilles
- Chevalet plus aplati
Mais que sont les cordes sympathiques ?
Les cordes sympathiques sont des cordes libres. Aussi, on n’exerce aucune action sur elles. Mais elles entrent en vibration par résonance ou par sympathie avec les notes jouées à la même hauteur ou fréquence. On les trouve ainsi sur les instruments à cordes frottées, pincées ou frappées. Pour augmenter l’effet de réverbération, le joueur de hardingfele peut choisir des cordes métalliques. Cependant, il s’oriente parfois vers des cordes de boyau pour une sonorité plus chaude et riche.
Histoire du hardingfele
Origines du nom
Fele en Bokmål ou fela en Nynorsk, est voisin de fiddle, terme anglo-saxon fithele, lui-même d’origine germanique fiƿula qui est parent du moyen-néerlandais vedel, du néerlandais veel, du vieil haut-allemand fidula, de l’allemand fiedel et du vieux norrois fiðla.
Le latin médiéval fidula ou vitula est certainement un emprunt au germanique. Il existe également un apparentement avec les mots vielle et viole, d’où violon. Mais il est autre qu’un violon, car un violoniste qui joue du violon n’est pas un violoneux qui joue du violon pour musique folklorique et inversement.
En effet, fidula ou viole est jouée différemment qu’un violon traditionnel, le fiddle ayant une connotation populaire au sens culturel du mot, surtout après que l’exode des Irlandais vers le Nouveau-Monde eût fait connaître les répertoires folkloriques aux autres peuples migrants.
Selon certaines traditions populaires ou traditions nationales, n’importe quel instrument à archet servant à la musique populaire peut recevoir le nom de fiddle : le violoncelle (big fiddle), la contrebasse (bass fiddle) et, finalement, le mot fiddle est souvent utilisé pour désigner le violon dans la musique traditionnelle irlandaise, britannique, klezmer ou tsigane. Ceci explique la parenté culturelle avec le Hardanger fele pour laquelle il est sûr qu’elle est née sur les rives ensoleillées de ce fjord aux prairies luxuriantes en cultures fruitières et florales. La joie de vivre, le retour du printemps en ces terres a sûrement guidé l’expression d’une culture artistique populaire car communautaire à ces lieux, par fêtes et célébrations diverses qui scandèrent les époques et les vies depuis le 17ème siècle.

Du folklore à la musique savante
Création et popularisation
L’inventeur du hardingfele pourrait être Ole Jensen Jaastad. On sait qu’il le construisit dès 1651 dans la région du Hardanger en Norvège. C’est cette région qui donna son nom au fele. Il s’agissait alors d’un instrument de taille plutôt modeste qui était muni de deux cordes sympathiques.
A cette époque, la Norvège entretenait de nombreux échanges avec les îles britanniques et notamment avec l’Ecosse. Ces dernières étaient réputées pour la facture d’instruments comportant des cordes sympathiques. L’ajout de ces cordes pourrait donc provenir d’une influence écossaise.
Puis au XVIIIe siècle, le hardingfele se modernisa, grâce à Isak Nielsen Botnen (1669–1759) et Trond Isaksen Flatebø (1713–1772) originaires de la ville de Kvam. Leurs instruments changèrent de taille et de forme. Ils devinrent très populaires dans le sud de la Norvège. Puis leurs successeurs continuèrent à produire des instruments à cette image. Spécifique à la région, les norvégiens le baptisèrent tout naturellement hardingfele ou hardanger fele.
Au XIXe siècle, le principal site de production du hardingfele se déplaça à la région de Telemark. Les facteurs continuèrent à moderniser l’instrument, notamment ceux de la famille Helland. Ces derniers contribuèrent à la diffusion de l’instrument en ouvrant des ateliers à Oslo et à Horten, les montrant et les proposant à des musiciens classiques. C’est ainsi que plusieurs compositeurs s’intéressèrent au violon de Hardanger.
Un instrument politique
Ole Bull, illustre violoniste et compositeur norvégien, écrivit une pièce pour hardingfele. Il l’intitula “Souvenirs de Norvège” pour hardingfele, quatuor à cordes, flûte et contrebasse. Sa première représentation fût donnée à Paris en 1833, d’où son nom original en français. Il révisa et rebaptisa ensuite cette pièce dans sa langue natale « Norges fjelde » ou « montagnes de Norvège ».
Mais le Hardingfele, en plus d’animer les fêtes en campagne ou d’inspirer les musiciens d’élite fut aussi un outil politique. En effet, reconnu comme typiquement norvégien, on l’utilisa pour instrumentaliser les idéaux nationalistes et d’indépendance de la Norvège.
Le pays étant occupé par la Suède, les mouvements indépendantistes en firent un symbole norvégien. Aussi, tout au long du XIXème siècle, de nombreux compositeurs s’intéressèrent au répertoire du hardingfele: Edouard Grieg, Thomas Tellefsen ou Halfdan Kjerulf. Puis, suite à la séparation de la Norvège et de la Suède en 1905, le besoin de symboles nationaux devint moins pressant. En conséquence, le hardingfele subsista surtout dans la musique folklorique.
Comment joue-t-on du hardengerfele ?
Le jeu particulier à ce violon est radicalement différent du violon classique, la main gauche étant presque couchée sous le manche, les doigts ne tombant pas à la verticale des cordes. Il n’y a donc pas de technique de vibrato possible ni nécessaire, la résonnance des cordes à vide du milieu faisant le travail harmonique par elles-mêmes.
L’archet est pris plus haut que chez un violoniste classique, se rapprochant de la prise d’archet du violon baroque, ce qui permet une meilleure maîtrise lors des traits rapides. Les effets les plus employés sont le cintrage, les roulements, les triplets, les crans, les bourdons et les cordes de slur. Dans les musiques populaires des pays anglo-saxons, le fiddle a la particularité d’être joué sur plusieurs cordes en même temps par le violoneux, qui le tient le plus souvent sur le creux du coude ou la poitrine, et non au menton. Le violon d’Hardanger peut se jouer aussi bien en tenue classique qu’en tenue plus basse, comme une viole.
Violon de Hardanger et folklore
Il est une tendance élargie à d’autres cultures parentes à celle de Norvège qui l’utilisent aussi dans d’autres musiques moins traditionnelles et plus modernes, comme la musique country, blue-grass et le punk celtique. La manière de jouer se fait uniquement à l’oreille, sans partition, et c’est par transmission entre violoneux que de générations en générations, les airs ne sont pas perdus, chacun y apportant sa touche et ses élans improvisateurs.
Le jeu du Hardangerfjord fele est un art complexe mêlant à la fois mélodie, ornements, variations du modèle de ligne et danse. Un des ingrédients les plus importants dans le jeu norvégien du fele est fondé sur la couleur sentimentale qui souligne la mélodie qui exprime à la fois la joie et la nostalgie, l’émotion, la sensibilité, le caractère nerveux qui recherche tout simplement la compagnie des autres. Ceci se comprend fort bien dans un pays où la densité de population est faible, les villages étant éloignés les uns des autres et isolés « au sein de la nature libre de Dieu » – « midt i Guds frie natur ».
Comment s’accorde le hardingfele ?
Même si vous n’avez pas d’hardingfele sous la main, vous verrez que la manière d’accorder cet instrument est plutôt inattendue.
Le hardingfele peut s’accorder de multiples manières, ce qui lui confère une certaine versatilité. En somme, il ne s’accorde pas comme le violon classique. D’ailleurs, cela occasionna quelques problèmes aux compositeurs et aux solistes lors de la création d’œuvres symphoniques, notamment à Tveitt lors de la création de son premier concerto pour hardingfele.
Le violon de Hardanger le plus courant est le vanleg stille (la, ré, la, mi) comme dans la plupart des pièces Norvégiennes.
Œuvres de référence
- « Norges Fjelde » ou « Souvenirs de Norvège ». Ce sont deux versions de la même œuvre composée par Ole Bull en 1833. Le hardingfele en est l’inspiration.
- “Slåtter”, 72, Edvard Grieg, 1902–1903.
- « Fossegrimen » et son fameux extrait « Fanitullen » de Johan Halvorsen, inspiré par « Førnesbrunen », 1904-1905. Johan Halvorsen fut le premier compositeur à employer le hardingfele dans un orchestre de configuration classique. D’ailleurs, il interpreta lui-même le hardanger lors de la première de l’œuvre.
- Concerto N.1 pour violon de Hardanger et orchestre, op. 163, Geirr Tveitt, 1955. Tveitt était un enfant du Hardanger, né dans une ferme au cœur de la région d’origine du hardingfele, il souhaitait lui donner une place définitive et aboutie dans la musique symphonique.
- « Tri fjordar », op. 252 (Trois Fjords), Geirr Tveitt. Le concerto comporte 3 mouvements, chacun portant le nom d’un fjord: Hardangerfjord, Sognefjord, et Nordfjord. Tveitt occasionna un regain d’intérêt des compositeurs pour l’instrument.
- Quintette pour violon de Hardanger et quatuor à cordes, op. 50, Johan Kvandal, 1978.
- Fantaisie pour violon de Hardanger et cordes, op. 82, Johan Kvandal, 1995.
- Nyslått, Concerto pour deux violons de Hardanger et orchestre à cordes, Henrik Ødegaard, 2000.
Image à la une, wikipedia commons. Autres images, Michel Paillet, wikipedia et Hardanger Folkemuseum, Asocciation connaissance des musiques traditionnelles nordiques.
Remerciements chaleureux et amicaux à Michel Paillet, important et fidèle rédacteur de notre page magazine, qui a contribué à l’écriture de cet article grâce à sa profonde connaissance du violon et de la culture norvégienne.